Ecrits

La fuite de Comté de l'Orge

Nous étions côte-à-côte, acculés à un mur. Chaque issue probable était bien trop éloignée pour que nous puissions la rejoindre. Le seul moyen de subsister était de repousser encore et toujours les troupes d’ennemis qui arrivaient continuellement depuis bientôt une heure. Nous n’allions pas tarder à céder à la fatigue ; bien qu’étant de vaillants chevaliers aguerris, nos corps commençaient à faiblir. Nous devions trouver un moyen de nous échapper de cette bâtisse, avant que celle-ci ne cède sous les coups des morts-vivants ou bien qu’ils ne parviennent à nous achever.

Ma lame perdait de son tranchant au fur et à mesure que je sectionnais la chaire pourrie de nos adversaires, et mon bouclier, n’étant pas celui que j’utilisais d’ordinaire, ne démontrait pas une solidité fiable. De plus, ces vils monstres nous ayant pris au dépourvu en lançant une offensive de nuit, nous n’étions pas équipés, et donc extrêmement vulnérables. Et tout cela sans possibilité d’alerter nos collègues pourtant situés au village voisin.

Je pouvais sentir la puissance des coups de mon équipier diminuer. Des gouttes de sueur étonnamment volumineuses dégoulinaient le long de son front et s’écrasaient sur le plancher en décomposition de la ferme où nous avions trouvé refuge. Alors que je j’achevais un mort-vivant dont on pouvait apercevoir la cage thoracique, ornée de lambeaux de peau en putréfaction, je ressentis une vive douleur dans ma jambe gauche ; la fin était proche. Un fantassin réprouvé était parvenu à m’atteindre à l’aide d’une flèche. Bien entendu, celle-ci était enduite de cette fameuse peste dont ils faisaient l’apologie. Ce produit était hautement nocif pour les vivants. Les morts-vivants l’utilisaient régulièrement. Cela se résumait à une technique assez lâche : ils propageaient leur « arme » sous forme de fumée dans les rues des villes ennemies. Les habitants ayant alors inhalé ce produit se métamorphisaient progressivement et rejoignaient les rangs de l’armée de Sylvanas. Mais cette fois-ci, cette peste avait été travaillé sous forme de liquide. Un frisson parcourut ma colonne vertébrale lorsque je songeai à cette sale réprouvée.

Par chance, l’ennemi cessa de lancer l’assaut. La porte, préalablement détruite par nos adversaires, ne laissait paraître aucun soldat antagoniste. Quelques minutes de répit s'offrirent à nous. Mais nous n’avions pas le temps de nous reposer sur nos lauriers ; nous devions faire un choix : continuer le combat –nous avions peu de chance de survivre à ces salves d’adversaires- ou quitter cette ferme archaïque et gagner le hameau le plus proche. Nous optâmes pour la seconde alternative, bien que peu confiants. M’étant agenouillé sous la douleur, je me relevai péniblement. Mon partenaire m’attrapa par le bras gauche pour m’aider à progresser parmi les cadavres nauséabonds de nos adversaires et m’entraîna à l’extérieur. Un spectacle affolant s’offrait à nous : notre cher village était en feu de parts et d’autres. Des hurlements révélant un terrible effroi retentissaient. Nous ne pouvions déterminer l’endroit d’où ils provenaient tellement ils étaient nombreux. Devions-nous sauver davantage d’innocents ? Ou alerter nos compagnons, et donc sauver lâchement nos vies ? Étant de fiers chevaliers, nous ne pouvions nous résoudre à agir de la sorte. Ainsi, malgré la douleur fulgurante que je pouvais ressentir, je m’enfonçai, accompagné de mon éternel ami, dans les ruelles sombres de notre village, omettant cette blessure qui n'était certainement pas à prendre à la légère ...

La visibilité était très réduite, et nous devions prendre garde à chacun de nos pas. Si nous produisions le moindre bruit, nous serions repérés et aussitôt submergés par les guerriers morts-vivants. Nous avions élaboré un plan de dernière minute. La quasi-totalité de la commune s’était regroupée dans l’église, le lieu le plus « sûr ». Certes, elle était composée de pierre et de bois solide, mais les techniques utilisées par nos ennemis étaient plus élaborées que nous ne pensions. Nous devions alors permettre aux habitants enfermés dans celle-ci de s’échapper. Malheureusement, si nous avions immédiatement pensé à fouiller la basilique, nos adversaires l’avaient sans doute fait également. Et ils s’étaient regroupés tout autour. Pour secourir nos congénères, nous devions détourner l’attention des réprouvés et les pousser à s’écarter de la place principale –lieu, donc, où se situait l’église. Mais avec notre effectif extrêmement réduit, nous ne pouvions pas agir comme si nous étions toute une armée, solide et bien entraînée. C’est pourquoi nous avions tout d’abord envisagé de venir en aide aux paysans et leurs familles coincés dans leurs propres demeures, assaillis par les ennemis. Heureusement pour nous –et ce fut sans doute la seule bonne nouvelle de la journée- notre village ne regroupait pas une multitude d’habitations, à l’inverse de Stratholme. Il ne se résumait qu’à cinq ou six habitats, plusieurs commerces et pouvait s’estimer chanceux de posséder au moins deux chevaliers pour l’aider, comme dans ces situations-ci. Il était rare qu’une commune aussi peu peuplée compte des guerriers entraînés au combat, et non exclusivement des gardes affectés dans cette zone, faisant la ronde un peu partout dans cette dernière le long de la journée. Peut-être trouverions-nous de quoi nous équiper lors du trajet nous menant à ces fameuses maisons ? Malgré la faible chance que notre souhait se réalise, nous avançâmes en direction du premier bâtiment.
Tout comme dans la ferme où nous nous étions battus précédemment, la porte avait été défoncée à coup de poing –la majorité des morts-vivants n’étant pas assez futés pour se servir d’arme, et c’était une bonne chose pour nous. La maison était silencieuse. Ses occupants avaient-ils été pulvérisés par le Fléau, ou bien étaient-ils cachés, ou mieux, parvenus à s’extirper de la ville en toute sécurité ? Indécis, nous entamâmes alors une recherche tout aussi discrète. Lorsque je gravis les marches de l’escalier en bois –elles grincèrent d’ailleurs, ce qui attisa mon angoisse-, je perçus un léger gémissement. Un enfant était encore présent dans cette chaumière. Il devait sans doute être recroquevillé sous son lit, ou dans une armoire, dévoré par la peur. Je pénétrai dans une pièce située au fond d’un petit couloir, tandis que mon partenaire fouillait la pièce adjacente. Je scrutai les moindres recoins, une lueur d’espoir dans les yeux. Soudain, une main se posa sur mon épaule, et une lame émoussée vint se plaquer contre ma jugulaire. Je pouvais très bien me défaire de l’étreinte de cet individu, mais j’optai pour une tactique passive, afin de ne pas éveiller davantage de soupçons chez lui. Je rengainai tant bien que mal mon arme et levai les deux bras. Je sentis ses bras cesser d’appuyer sur mon torse et entendis un soupir de soulagement. Je me retournai afin d’apercevoir mon assaillant.

« Enfin, souffla le vieil homme. Un visage amical, et une odeur respirable … J’avais perdu espoir ! »
Je souris, signe que désormais, il n’était plus seul pour surmonter cette épreuve. Avant toute chose, je l’inspectai dans le but de vérifier qu’il n’avait pas été mordu par un de ces vils monstres. Il ne semblait pas blessé, bien que couvert de sang séché qui n’allait sans doute pas tarder à attirer tous les nuisibles environnants. Je me demandais comment avait-il pu rester en vie avec une arme aussi misérable, pas plus affûtée qu’un couteau de cuisine.

« Combien êtes-vous, lui susurrais-je. Je suis accompagnée de mon coéquipier, nous allons vous aider à quitter la ville »
L’homme semblait avoir saisi que nous devions faire le moins de bruit possible. Aussi me répondit-il qu’ils étaient trois à l’aide de sa main –sa femme, son fils et lui-même. Mon partenaire apparut soudainement derrière le paysan. Je ne pus retenir un petit sursaut en l’apercevant. Il avait approché de manière si silencieuse que même le meilleur des voleurs n’aurait pas été capable d’une telle prouesse. Il hocha la tête lorsqu’il vit les deux proches du vieillard quitter leurs cachettes. Nous nous restaurâmes quelque peu et s’emparèrent de quelques équipements de fortune –cuirasse, gants et bottes en cuir. Nous formions désormais un groupe plus important, et redoubler de vigilance était inévitable. N’importe quel écart pourrait nous coûter la vie, et je n’avais pas la moindre envie d’être porté coupable de la mort d’innocents. Ainsi, la peur au ventre –en restant tout de même stoïques-, nous laissâmes la maisonnette à l’abandon.

Dans les rues, je brandissais mon épée, prêt à déchiqueter quiconque lancerait l’assaut sur nous. J’ouvrais la marche, tandis que mon coéquipier la fermait ; ainsi, nous encadrions les villageois, de sorte à ce qu’aucun mal ne puisse leur être infligé. Par chance, nous ne croisâmes aucun ennemi sur le chemin nous menant à la seconde demeure. Il s’agissait d’une structure en pierre, ce qui était rare et qui nous révélait l’aisance dans laquelle vivaient ses occupants. Malheureusement, cela n’avait pas suffit à retenir les réprouvés qui étaient parvenus à pénétrer à l’intérieur. D’étranges grognements provenaient d’ailleurs de la maison. Je serrai davantage mon bouclier et entrai avec prudence.

Dans le salon, tout avait été saccagé ; il ne restait plus un seul meuble capable de resservir. La tapisserie au sol ainsi qu’au mur avait été lacérée et les fenêtres, brisées. Nous pouvions apercevoir des traînées de sang, çà et là sur le plancher. Alors que j’inspectai minutieusement la salle principale, un objet dégringola mystérieusement de l’escalier. Qu’était-ce ? Un survivant maladroit ou un monstre assez ingénieux pour tendre des pièges ? Devions-nous monter et risquer d’être blessé ou ignoré cet incident et continuer notre périple ? Mon instinct de chevalier fut plus fort et j’entrepris de gravir les quelques marches en produisant un minimum de bruit. C’est avec quelques grincements que je parvins au premier étage. Le couloir était lugubre. Je pus néanmoins distinguer des flaques de sang … frais. J’y trempai mon doigt. C’était bel et bien un liquide provenant d’un humain. Il devait sans doute souffrir le martyre, derrière la porte, à découvert et terriblement effrayé. Sans réfléchir, je gagnai la pièce la plus proche. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque, à la place d’un être vivant agonisant, je vis un mort-vivant affamé de chair humaine. Celui-ci fut plus rapide que moi et me sauta à la gorge. Avec le peu de réflexe qu’il me restait, je brandis mon écu et le repoussa dans un grand fracas. Cet affrontement allait sans doute attiser la curiosité de toutes les immondices de Sylvanas environnantes. Il fallait que j’opère le plus silencieusement possible, et que mon partenaire ait la présence d’esprit de ne pas me venir en aide, pour ne pas générer davantage de bruit mais également pour protéger le vieillard et sa famille en cas d’attaque au rez-de-chaussée. La bête, abasourdie par le choc reçu avec mon bouclier, tituba quelques secondes avant de tenter une seconde attaque. Il fonça en ma direction, le poing levé, ses doigts squelettiques repliés sur eux-mêmes, prêt à me frapper. Malheureusement pour lui, son pitoyable état n’éveillait en moi que rire et honte. L’armée ennemie se contentait visiblement de tous les cadavres, même des plus décharnés, et nous, fiers humains de Hurlevent, n’étions pas capables de leur tenir tête ? Il fallait que je réduise cet être infâme en charpie au nom de tous mes confrères morts au combat. Pris d’une soudaine adrénaline, j’esquivai sans problème et d’une agilité surprenante le coup du mort-vivant et trancha son torse en deux. Je n’eus pas trop de problème à le séparer en deux, compte tenu du fait que son corps n’était pas très solide. Je tentai, en vain, de reposer son cadavre au sol en ne produisant aucun son. Lorsque j’eus fini ma sale besogne, je priai Elune pour qu’aucun monstre n’ait fait son apparition plus bas. Il fallait que je rejoigne le reste du groupe, mais une question trottait toujours en mon esprit : d’où, ou plutôt de qui, provenait le sang situé dans le couloir ? Je regardais chaque coin de la salle, sans trouver de réponse convenable. Ce n’est que lorsque je poussai la porte que je vis avec horreur un cadavre d’enfant disloqué, à moitié dévoré. Une violente nausée me prit aux tripes et je dus quitter cet endroit pour ne pas rendre mon dernier –maigre- repas.

Arrivé au niveau inférieur, je fus accueilli par le regard interrogateur de mon partenaire et les murmures inquiets de la petite famille. Celui-ci s’empressa de me questionner sur les bruits sourds ayant retentis précédemment, bien que soupçonnant déjà connaître la cause de tout ce remue-ménage. Désormais, il était vital pour nous de quitter cette zone de la ville. Notre présence avait sans doute déjà été rapportée aux autres réprouvés et des escouades ne tarderaient pas à faire leurs apparitions. Je pressai le vieil homme, sa femme et son fils à l’extérieur en vitesse. Ils semblaient avoir perdu espoir et ne désiraient plus évacuer la ville aussi ardemment qu’au départ. Malheureusement pour eux, ils s’étaient engagés à nous suivre et je comptais bien terminer la mission à leurs côtés, même si ils ne feraient sans doute que nous retarder, du fait de leur manque d’enthousiasme.

Nous faisions en sorte d’emprunter de petites ruelles trop étroites pour laisser passer des groupes de morts-vivants. Nous pouvions entendre ces monstres immondes se dépêcher à travers la ville dans le but d’exterminer tout signe de vie persistant. J’étais bien décidé à sauver le reste de survivants, ne serait-ce que pour démontrer aux réprouvés que les humains d’Hurlevent étaient plein de ressources et capables d’assurer la protection de son peuple et de ses alliés. Au fur et à mesure que nous effectuions le trajet, je tenais le manche de mon épée plus fort encore. Ma mâchoire se contractait sans cesse ; je ne pensais plus qu’à tuer ces bêtes indignes de vivre, de n’importe quelle façon –j’aurai été heureux si elles n’avaient pas été insensibles à la douleur.

Au détour d’une avenue déserte et totalement détruite, j’aperçus un soldat ennemi se diriger tant bien que mal dans une maisonnette qui avait subi le même sort que les autres, sa jambe gauche traînant sur le sol, totalement dénuée de peau et sa tête dépourvue d’un bout de crâne. Certains étaient véritablement dans un état désolant –mais ce n’était pas plus mal pour nous, ils supportaient des handicaps qui nous permettaient d’avoir l’avantage, comme la vitesse de déplacement ou leurs intelligences, somme toute limitée. Je n’avais qu’une envie : lui sectionner l’autre membre qui lui permettait de marcher et le torturer jusqu’à ce qu’il me dise pourquoi son armée avait-elle décidé de lancer l’assaut sur une ville aussi petite et insignifiante que celle-ci. Cela était cependant impossible, car nous ne communiquions pas par le même langage. Et il n’aurait sans l’ombre d’un doute pas accepté de me délivrer une quelconque explication –aussi cohérente aurait-elle pu être. Je lançai un regard à mon partenaire : pendant qu’il continuerait, lui et les habitants, en direction de l’épicerie, j’irai voir dans cette petite maison ce que peut bien faire un réprouvé, seul et mal en point. Nous nous séparâmes et j’y entrai à pas de velours. La bestiole était accroupie au dessus d’un cadavre et le dévorait goulûment. Le cannibalisme était un acte que je ne tolérais pas du tout, qu’elle provienne d’être humain ou de morts-vivants. Je chargeai et enfonçai ma lame dans son dos, parmi ses côtes –celles qui lui restaient tout au moins. Il grogna, mais pas suffisamment fort pour alerter ses camarades. Lorsque j’ôtai mon épée de son corps squelettique, il se tourna ; il n’était pas mort et respirait encore. Il fallait reconnaître que les morts-vivants étaient résistants. Je fus pris d’une certaine pitié pour cet être qui n’avait pas décidé d’adhérer à cette armée de monstres. Après tout, il avait été déterré contre son gré. Néanmoins, ce sentiment ne fut pas plus fort que mon envie d’éradiquer à jamais la légion de la reine Banshee. Ainsi, je tendis fièrement ma lame, comme pour rendre honneur à notre roi, Varian Wrym, et lui tranchai la gorge d’un coup net. Le sang gicla à flot, et je dus m’écarter afin de ne pas être éclaboussé par ce liquide atteint par la peste. Je restai quelques secondes à contempler ce corps désormais vide de toute vie –même si la précédente que je venais tout juste de lui arracher ne pouvait pas être considéré à proprement parler comme une « vie ». Il fallait que je rejoigne le reste du groupe, qui avait donc progressé jusqu’à la vieille épicerie, jadis tenu par une femme âgée très appréciable et généreuse. J’eus une petite pensée pour elle. Pourvu que le Fléau ne l’ait pas fait passer de vie à trépas.

La maison où je me trouvais semblait vide. Mais l’on m’avait inculqué plusieurs règles lors de mon apprentissage pour devenir un puissant chevalier, dont l’une qui nous clamait que les apparences étaient parfois trompeuses. Par cette phrase, il fallait comprendre que se contenter de ce que l’on voit n’était pas le bon comportement à adopter. Aussi pris-je la peine d’inspecter les trois autres pièces formant cette habitation. Chacune d’entre elles étaient bel et bien inoccupées. J’éprouvai un léger sentiment de déception. J’espérais pouvoir sauver ne serait-ce qu’un survivant supplémentaire. Mais il fallait se rendre à l’évidence : le Fléau était redoutable, et si nous ne possédions pas le strict minimum en matière d’armes et équipements, notre survie était grandement compromise. C’est alors d’une allure nonchalante que je quittai la maisonnette. Une fois à l’extérieur, je regagnai un peu d’aplomb lorsque j’entendis le cri d’une femme. Nous n’étions pas seuls dans la cité ! Il était de mon devoir de secourir cette personne en détresse. Mon coéquipier allait devoir attendre et protéger seul le vieillard et sa famille. Certes, ce n’était pas la meilleure attitude pour un chevalier que de laisser son ami sans nouvelles au milieu d’un raz-de-marée de monstres assoiffés de vengeance et de sang, mais il comprendrait très certainement et aurait sans doute fait de même. Cependant, si je voulais être d’une efficacité remarquable, je devais agir avec le plus grand professionnalisme dont je pouvais faire preuve. De plus, trouver des armes commençait à devenir vital, l’épée que j’utilisais actuellement perdant rapidement son tranchant. La situation devenait critique.

Les rues étaient désertes. Les morts-vivants s’étaient très probablement regroupés dans la partie nord de la ville, où nous nous trouvions quelques dizaines de minutes auparavant. C’était là ma chance de sauver cette pauvre femme. Je slalomai parmi les tonneaux détruits, les bouts de verre et les morceaux de chair à une vitesse affolante, mais de façon très discrète. Je n’avais pas l’habitude de me déplacer vêtu d’un équipement en cuir ; j’avais l’habitude de revêtir une armure de plaque, nettement plus lourde et plus bruyante. L’agilité dont je faisais preuve m’étonna, mais je m’en réjouis : j’allais pouvoir parvenir plus rapidement au lieu où se trouvait la demoiselle. Ce n’est que lorsque j’arrivai au pied d’un bâtiment en bois entièrement détruit que je réalisai une chose : je n’avais entendu qu’un seul et unique cri. La femme que je désirais si ardemment secourir était-elle encore en vie ? Ou bien m’obstinais-je à vouloir aider une personne morte ? Je mis ces sombres pensées de côté et continuai ma route. Ce genre de questionnement était fréquent lors des missions de ce type –qui étaient extrêmement rarissimes- et y songer n’aurait fait que me retarder.

Lorsque je fus essoufflé, je m’arrêtai un instant. Courir de façon aussi intensive m’avait fatigué. De plus il ne fallait pas que je m’éloigne trop de l’épicerie. Peut-être avais-je eu une mauvaise idée en décidant de secourir cette femme ? J’avais pris cette décision si rapidement, sans y réfléchir convenablement. Mais désormais, il n’était plus question de rebrousser chemin. Alors que je commençais à perdre confiance en mes choix, un hurlement strident retentit. La femme ! Elle n’était pas morte. Je relevai la tête brusquement et repris ma course effrénée. J’avais approximativement localisé la maison d’où provenait le cri. Je priais en mon for intérieur pour y parvenir avant les réprouvés.

Je me dirigeai vers une maisonnette construite de bois, comme celles aux alentours. Sa porte était encore en place, et les fenêtres étaient entières –et récemment lustrées. C’était suspect, très suspect. Néanmoins, cela ne fit pas taire mon courage qui m’intimait l’ordre de pénétrer dans cette habitation. J’aurai dû m’arrêter quelques minutes sur cette situation des plus singulières …

La porte était bloquée. Je fus contraint de l’ouvrir d’un puissant –et bruyant- coup de pied. L’intérieur était intact. Cette fois, c’était sûr, j’étais victime d’un canular, d’un piège. Lorsque je me retournai pour quitter cet endroit, la porte se referma aussitôt, et un rire machiavélique se fit entendre. Une intense peur s’empara de mon corps, et je fus bientôt tétanisé par cette dernière. Dans quel pétrin m’étais-je fourré ? Comment pourrais-je avertir mon camarade de la situation dans laquelle je me trouvais ? J’étais seul et perdu. Même si tout espoir semblait mort, je maintins fermement mon épée et décidai d’affronter le monstre qui s’était joué de moi.

Je fus tout d’abord réticent à regarder la créature dans les yeux. Peut-être était-ce dû au fait qu’elle n’en possédait tout bonnement pas. Son apparence était cependant différente de celle des autres morts-vivants. Ce réprouvé-ci ressemblait davantage à un Humain qu’à un ignoble revenant. Sa panoplie était soignée et seul son corps squelettique laissait deviner qu’il ne s’agissait pas d’un être vivant.

Ce combat s’annonçait d’ores et déjà compliqué. J’avais appris à reconnaître les ennemis puissants tout au long de mes campagnes militaires. Et un monstre aveugle, dégageant une aura magique aussi froide et pesante, n’allait certainement pas se laisser piétiner par un simple chevalier aussi simplement. En temps normal, j’aurai très probablement pu remporter cet affrontement. Mais sans mon équipement adéquat, une armure de plaque créée par un forgeron de renom, enchanté par notre mage le plus puissant et amélioré par un ingénieur gnome reconnu dans tout Azeroth, ainsi qu’une épée affûtée avec grand soin et un bouclier qui m’offrait une défense impénétrable, mes chances de survie étaient minces.

Alors que j’étais préoccupé à établir une stratégie qui pourrait éventuellement me permettre de sortir victorieux de ce combat, mon adversaire cessa soudainement de rire. Même s’il ne pouvait pas me voir, il pouvait sans doute déterminer ma position à l’aide de différents facteurs –le bruit de mes armes, le son produit par ma respiration, la peur que je dégageais et cætera … Ce n’est que lorsque je l’inspectai de façon plus approfondie que je m’aperçus qu’il lévitait. Sa puissance était telle qu’elle lui permettait de se déplacer en volant. Et puis, si ce réprouvé avait été envoyé pour m’éliminer, c’est qu’il devait posséder toutes les chances d’y parvenir … Au moins, je pouvais m’estimer heureux que Sylvanas n’ait pas daigné poster une multitude de morts-vivants contre moi, sinon j’aurai perdu. Pourquoi m’avait-elle laissé une chance de rester en vie ?

Le mage revenant s’impatienta de voir que je ne lançais pas d’assaut. Il regroupa ses deux mains et forma une boule d’énergie. Bientôt, des éclairs en jaillirent et cela déclencha une sorte de tempête miniature à l’intérieur de la maisonnée. Dès qu’elle fut d’une circonférence suffisamment grande selon lui, il la jeta sur moi. Non seulement il possédait un don magique inné et indiscutable, mais en plus sa force physique était également remarquable ! J’eus même du mal à esquiver son attaque qui frôla mon bras gauche et entama légèrement mon plastron en cuir. Je me recroquevillai derrière un buffet en bois dont un des pieds venait d’être détruit par la force de l’explosion de la boule de mana. J’étais tellement pris au dépourvu que j’étais bien incapable de trouver un plan pour m’extirper de cette situation. J’étais prêt à parier qu’un bouclier de mana –invisible à l’œil nu- protégeait mon adversaire et m’empêcherait de lui porter toutes attaques. La seule solution qui me traversa l’esprit fut d’épuiser totalement son mana. Malheureusement, lors de mon apprentissage, on m’avait inculqué qu’un mage possédait une quantité énorme de mana, et tenter de l’épuiser serait un suicide. J’étais paniqué ; comment pourrai-je le vaincre si je ne trouvais aucune idée pour réaliser cette tâche ? Je lançai un vif coup d’œil en direction de mon adversaire. Celui-ci était visiblement décontenancé par sa cécité. Il ne savait pas où j’avais fui. C’était là ma chance de lui porter une attaque ! Au diable le bouclier, il fallait que je tente quelque chose. Et puis, avec un peu de chance, il n’en avait peut-être pas, et je ne faisais que me compliquer le combat ? Peu importe, je bondis par-dessus le meuble et brandis mon épée. Je pris le soin de ne pas hurler mon cri de bataille pour plusieurs raisons : en premier, pour ne pas alerter les autres réprouvés aux alentours, et en second, pour tout simplement ne pas indiquer ma position au mage. Chose qui, malgré cet effort, ne fut pas très dur pour lui, puis qu’il matérialisa une boule de feu qu’il éjecta en ma direction. Mon bouclier était de fer, c’est pourquoi j’eus le réflexe de le porter à mon visage pour m’éviter toutes blessures. Malheureusement, il ne s’agissait là que d’un écu plaqué de métal, et le feu n’eut pas de mal à atteindre le bois. Ainsi, je perdis ma seule source de protection et me brûla fortement les doigts, malgré les gants généreusement donnés par le vieillard. C’était peine perdue. Mais en bon chevalier, je n’abandonnai pas le combat et restai fermement planter sur le parquet, fixant d’un regard noir l’ignoble revenant –bien qu’il ne pouvait pas s’en rendre compte.

L’aide de mon camarade m’aurait été bien utile. A deux, nous aurions très certainement pu venir à bout de ce monstre. Je réfléchis un instant à la manière dont nous aurions procédé … Nous aurions sans doute pris à revers le mage et l’aurions attaqué à deux sur deux flancs différents pour le déstabiliser. Tout à coup, une idée germa en mon esprit. Même si cette tactique n’était pas très élaborée, c’était la seule que j’avais trouvée … Je retournai me protéger derrière un meuble, tout en restant à une distance raisonnable de mon adversaire. En chemin, je m’emparai d’une pierre qui s’était délogée du sol, à un endroit où le parquet avait littéralement explosé. Le réprouvé commença à incanter un sortilège ; il fallait que j’agisse maintenant ! Aussitôt, je lançai le plus fortement possible mon caillou, non loin de mon adversaire, pour détourner son attention. Je ne pensais pas que cela fonctionnerait, et pourtant il cessa de marmonner ses paroles magiques et tourna d’un coup sec son crane squelettique. C’était ma chance de le frapper ! Je sortis de ma cachette d’une agile roulade et courut vers le revenant. Celui-ci s’attendait visiblement à ce que je le prenne d’assaut du côté où la pierre avait heurté le sol. Malheureusement pour lui, je levai mon épée et lui trancha net son bras gauche. Cette diversion avait beau être employée par les novices en matière de chevalerie, elle avait fonctionné avec brio contre lui. Désormais, il aurait bien du mal à générer ses sorts. Comme j’étais extrêmement près de lui, j’en profitai pour lui porter un second coup. Seulement, le mage poussa un cri de fureur et je fus violemment repoussé contre le mur de la maison, à son opposé.

Le sol était maculé d’un marre de sang frais. La douleur qui lacérait le mort-vivant devait être insupportable, car celui-ci ne cessait de geindre en tenant son épaule. Je pouvais peut-être gagner ce combat finalement … Le réprouvé cessa sa lévitation, signe que sa puissance diminuait. Du moins, c’était ce que je pensais avant qu’il ne me pointe du doigt et qu’une rafale de projectiles magiques s’en échappa pour me prendre comme cible. Comment avait-il pu deviner où je me trouvais ? J’évitai son attaque sans trop de problème. Alors que je croyais être sorti d’affaire, l’un des projectiles ne s’écrasa pas contre le mur et fit demi-tour en ma direction. Ce dernier me toucha en pleine poitrine et une douleur fulgurante traversa tout mon être. Je fus paralysé durant quelques secondes que je pris être une éternité. Alors que je reprenais mes esprits, je sentais comme un gène au niveau de mes poumons. Ma respiration se faisait plus lente et j’avais du mal à bouger mes membres. Il s’agissait sans nul doute d’une malédiction ! Généralement, les malédictions cessaient d’elles mêmes, mais certaines étaient plus violentes que d’autres, et plus longues. Je n’avais plus qu’à espérer qu’en mettant fin à la –seconde vie- de mon adversaire, ce sortilège fourbe cesserait. Je me relevai tant bien que mal. Nous étions tout les deux amochés. La victoire allait se disputer maintenant.

Le mage leva son bras droit et clama une phrase magique dont je ne compris pas la signification sur l’instant. Un bâton apparut alors et il s’en empara. Son arme possédait une aura noire qui ne laissait présager rien de bon. Il semblait d’autant plus puissant en sa possession. Je jetai un regard à mon arme, une lame dont le tranchant laissa à désirer, qui n’était pas plus grande que mon bras. J’étais désavantagé, lésé … Le réprouvé frappa le sol à l’aide de son bâton, et une sorte de vortex violâtre se créa entre nous deux. Je ne savais pas à quoi il servait, mais une telle puissance n’avait pas sa place dans la ville. Si je ne faisais pas cesser ses agissements dans les quelques minutes, un drame aurait lieu. Les meubles étaient tous attirés par ce trou béant au milieu du salon. Mon adversaire rigolait, comme si il savait que ce sortilège pourrait causer sa perte. Mais il semblait satisfait de savoir qu’en se sacrifiant, il m’ôterait la vie et celle des survivants restants. Il semblait se contreficher des autres morts-vivants.

Il n’y avait plus qu’une solution : tuer cette immondice avant que son sort ne prenne plus d’ampleur. A ce moment là, tout bon sens quitta mon esprit et je lançai un cri assez déstabilisant, mon épée brandie. Je fonçai vers mon ennemi. Il fallait que je l’anéantisse ! Lorsque je fus assez proche, je m’attelai à lui enfoncer ma lame dans le corps. Il dévia mon coup à l’aide de son bâton et propulsa une sorte de javelot de glace vers moi. Je ne parvins pas à éviter son coup et je me retrouvai bientôt avec une plaie béante sur la jambe gauche. La blessure n’était pas si importante, mais la douleur était vive et le sang coulait à flot. Je contournai le réprouvé et me retrouvai dans son dos. Là, je plantai mon arme entre ses omoplates et déchira sa colonne vertébrale. Il hurla à son tour. Son vortex grandit soudainement, puis se referma sur lui-même, d’un coup. Le corps du mage retomba au sol, totalement désarticulé. Son cadavre baignait dans une marre de sang. Ce spectacle était hideux. C’était tout ce qui restait de mon adversaire, ainsi que son bâton. Ce dernier m’intriguait grandement. J’hésitai à le prendre. Peut-être pourrai-je en faire don à notre académie magique, pour qu’ils puissent l’étudier et en faire une arme pure, dénuée de puissance maléfique ? Alors que je m’avançais en sa direction pour le prendre, il disparut, ou plutôt se désintégra en un millier de particules de poussières.

Ce n'est que lorsque je jetai nu dernier coup d’œil en direction du cadavre de mon ennemi, que je compris une chose : la femme que j'avais entendu hurler, n'était en réalité pas une femme ; ou plutôt, elle ne l'était plus. La personne que je venais de tuer était cette personne que j'avais tenté de sauver. Ce n'était pas un homme que j'avais tué … Je fus surpris et affreusement dégoûté. Comment cette puissance maléfique pouvait modifier l'apparence d'une personne à ce point ?
Je sortis de la maison. Elle n’avait plus rien d’accueillant désormais. Un trou jonchait le sol, un cadavre et une multitude de sang décorait le salon, les meubles étaient quasiment tous détruits … Ce combat m’avait néanmoins redonné un peu d’aplomb. Si l’on mettait de côté les blessures bien entendu. La malédiction semblait toujours faire effet, mais avec moins d’amplitude. Mais le réel problème était ma jambe. Le sang avait cessé de couler, mais j’éprouvai une grande difficulté à me déplacer, du fait des deux blessures situées sur mes membres inférieurs. Je me remis en marche en direction de l’épicerie, où mon coéquipier devait m’attendre avec le vieillard –et peut-être d’autres survivants.

Je mis plus d’une bonne trentaine de minutes à traverser la ville. Lorsque j’arrivai au point de rendez-vous, je n’aperçus personne. Je fus pris qu’une panique soudaine. J’entrai dans la boutique, espérant de tout cœur que mes camarades y soient. A ma grande joie, je fus accueilli par une lame. Lorsque mon congénère aperçut ma blessure, il rengaina son épée et m’aida à m’asseoir. Ayant assisté à une séance de premiers soins, il déchira dans sa cape un lambeau de tissus et entoura ma blessure. Cette compresse permettrait à la douleur de se faire ressentir plus faiblement et à éviter que le sang ne suinte à nouveau. J’étais tellement occupé à inspecter ma plaie que je ne m’étais pas rendu compte que d’autres personnes avaient rejoint notre groupe : un jeune homme, encore adolescent, sa petite sœur et une femme très âgée. Nous étions nombreux. Trop nombreux, et avec moi blessé et des personnes plus ou moins âgées, notre démarche s’annonçait bien lente. Heureusement, nous nous situions tout près d’une des sorties du village. Nous nous reposâmes quelques minutes et décidâmes de quitter l’épicerie. Dehors, aucuns morts-vivants ne lambinaient sur les trottoirs et aucun grognement ne se faisait entendre. La voie était libre, et cela nous facilitait grandement la tâche. Nous sortîmes du bâtiment et prîmes le chemin de la porte Est.

Je m’attendais à ce que le trajet soit parsemé de réprouvés et de difficultés, mais nous parvînmes à la sortie sans encombre. Mais je ne me fis pas berner comme tout à l’heure. C’était bien trop suspect. J’étais sûr que Sylvanas avait dépêché d’autres troupes vers notre ville. Je tenais fermement le pommeau de mon épée, prêt à dégainer au cas où les morts-vivants décidaient de lancer un assaut. Mais nous quittâmes finalement la ville amochés, mais entiers. Il ne nous restait plus qu’à parvenir à la ville la plus proche, qui se situait à une heure de marche. Nous étions sortis vivants de la ville, mais ce n’était pas fini.

L’aube commençait à pointer le bout de son nez. Les premiers rayons du soleil illuminaient faiblement la plaine située en face de nous. Nous marchions depuis longtemps, et la prochaine ville semblait encore loin. Nous faiblissions, en particulier la vieille femme qui n’était plus capable d’assurer de tel voyage. Nous décidâmes de nous arrêter dans une maisonnette abandonnée afin de s’assurer que chacun se portait bien. Malheureusement, affaiblie par la maladie et la vieillesse, la femme nous quitta. Le jeune homme qui se révélait être son petit-fils, fut terriblement affecté par cette mort. Ses parents étaient décédés, et désormais il n’avait plus de famille, mis à part sa sœur. Il avait peur pour elle, pour son avenir. Je lui assurai que là où nous allions, il pourrait subvenir à leurs besoins et démarrer une nouvelle vie. Mais l’heure n’était pas aux bavardages et nous reprîmes aussitôt la marche. Nous prîmes cependant le soin d’offrir des funérailles –aussi médiocres furent-elles- à la femme, afin que son âme puisse reposer en paix et qu’elle ne s’inquiète pas pour le sort de ses petits-enfants.

Alors que nous apercevions le petit village qui était notre cible depuis le départ de notre périple, je trébuchai. Ma jambe, elle me faisait terriblement souffrir. Je déchirai avec empressement mon bas en tissus afin d’ausculter ma plaie. Je fus répugné … Ma peau avait viré au gris. Elle avait littéralement pourri … La peste ! Je l'avais oublié ! Elle commençait à se répandre sur mon corps ! Comment pourrai-je cesser cette propagation ? Je jetai un vif coup d’œil à mon camarade. Il fixa le sol, embarrassé. Nous savions aussi bien l'un que l'autre la seule solution à se problème …


Nous ordonnâmes à chacun des membres de notre groupe de détourner le regard. Je m'allongeai, mis ma jambe en évidence. Mon coéquipier leva sa lame, puis l'abattit sur ma cuisse.

© Élodie Nozières - Reproduction ou copie partielle interdite et passable de poursuites judiciaires

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire